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Carnet de voyage (2)- La tribu des yeux qui coulent

Après le voyage en avion, voici le deuxième épisode de mon carnet de voyage au Cameroun.

A peine franchissions-nous les portes qu’une nuée de taxi s’approchèrent en proposant de porter nos bagages. Nous avancions sans leur prêter attention. Devant le parking, trois membres de la famille de Jane nous attendaient : sa mère, sa sœur et Bobo, l’homme à tout faire de la maison.

Huit ans s’étaient écoulés avant que ce moment dont elle avait tant rêvé survienne. Difficile de narrer ces quelques secondes où j’ai été aux premières loges. Quels sentiments ont éprouvé la fille qui voyageait au-delà des mers et ses proches ? On pourrait me reprocher de ne pas savoir, d’inventer et pourtant je les ai ressentis, en oubliant peut-être certains. Il est sûr que la première des émotions fut la joie. A coup sûr, elle accéléra les pulsations cardiaques de tous ceux présents et produisit un effet euphorisant. Ce fut ainsi sa mère qui me bondit dessus. Je ne m’y attendais pas. La plus puissante des vagues survint dans les quelques dixièmes de seconde qui suivirent. Elle m’étreignit le cœur lorsque je vis Jane et sa sœur pleuré à chaudes larmes dans les bras l’une de l’autre. Bien sûr qu’on pouvait pleurer de joie, mais ces larmes coulaient comme autant de jours vécus loin l’une de l’autre. Ainsi dois-je rappeler à ce moment-là du récit que sa sœur avait pendant longtemps jouer le rôle de maman. 2900 et quelques jours qui passèrent sans que ces deux-là ne se touchent, ne se frôlent, ne se parlent face à face et pas derrière des téléphones à la connexion incertaine. Cette émotion-là n’est pas exactement reproductible sur grand écran, il manque une sensation physique, celle qui vient de nos organes, du cœur en passant par le cerveau. Des souvenirs vont affluer au cerveau et vont provoquer des sensations contradictoires. Pour cet événement qui n’a nul équivalent émotionnel, la langue française lui a donné un nom fade et tiède : les retrouvailles. Qu’éprouva le personnage de fiction Ulysse lorsqu’il retrouva sa femme et ses enfants ?

Sa mère rejoignit ce cercle alors que je saluais Bobo puis je fus invité à rejoindre la tribu des yeux qui coulent. Une petit larme vint en coin et j’aurai été, à ce moment-là, bien incapable de prononcer un quelconque mot.

On rentra à 5 dans le taxi, 2 sur le siège avant, 3 à l’arrière.

– Où est la ceinture de sécurité ?

Ma question fit rire tout le monde.

Seul le conducteur en portait une. Pour les autres, c’était le moment de faire sa prière. Plus tard, j’appris que la ceinture était obligatoire pour le conducteur et le passager avant et pour tous sur des axes dits « lourds ».

Conduire ici relevait en effet du prodige. Les motos taxi se déversaient telles des nuées de sauterelles. Sans casque cela va sans dire. Il pouvait y avoir de 1 à 5 passagers selon la moto et la physiologie de ses occupants.

Quelques rares panneaux signalaient des vitesses que personne ne respectaient. Encore qu’à de nombreux endroits, on ne pouvait aller vite. Voitures et motos évitaient les nids de poule et faisaient de grands écarts le long de la route au risque de heurter ceux qui venaient en face. Douala klaxonnait sans cesse. Le bruit des moteurs ne la faisait jamais s’endormir. Très peu de feux tricolores avaient été installées, on se croisait comme on pouvait. On forçait le passage sinon on ne passait jamais.

Les taxis étaient les voitures à fort kilométrage qui n’avaient pas fini à la casse chez nous. Je ressentis d’emblée une forte odeur d’essence à l’intérieur du véhicule. Le pot catalytique ne catalysait ici plus rien du tout. Douala était une ville en surchauffe constante, polluée par des dizaines de milliers de véhicules qui ne réussiraient pas le contrôle technique chez nous.

Le taxi se faufilait dans les méandres de la cité. Il y avait bien ça et là des immeubles, mais la plupart des habitations étaient en taule, parfois avec deux étages.

Ici, on vendait de tout, partout. La ville était un gigantesque marché à ciel ouvert. De la nourriture en abondance, mais aussi des vêtements, des ustensiles de cuisine, des pneus…

Poisson, bananes, tomates, manioc sous toutes ses formes, tout était bio ici, rien n’était transformé ou si peu.

Les passagers discutaient en Bakoko. Je me disais qu’il faudrait que je me décide enfin à apprendre cette langue. On arriva sur une place où se trouvait notre hôtel qui, de par ses 8 étages, dominait les alentours. Une barrière se leva pour nous accueillir. Deux employés vinrent à notre rencontre.

– Bienvenue à l’hôtel Baya, monsieur.

La petite famille porta nos deux valises et nos sacs. Avant d’entrer, nous passâmes un portique de sécurité et reçûmes du gel hydroalcoolique. A la réception, on régla l’intégralité de nos nuitées avant que l’on nous donne les clés.

On dira souvent que toutes les chambres d’hôtels se ressemblent. Celle-ci n’échappait pas à la règle. Un lit américain, une salle de bain avec baignoire, la climatisation, une vue imprenable sur la ville, on ne pouvait se plaindre. Je déplorai cependant l’absence de sèche-cheveux. Il fallait bien trouver quelque chose à redire. On redescendit aussitôt pour retrouver les famille et on s’installa dans le coin bar sans pour autant commander quoi que ce soit. Les prix, jugés excessifs par Bobo ne me motivèrent pas à le faire. Je vis l’un des employés en uniforme faire la grimace. Sans doute nous jugeait-il pingre.

Ensuite, on décida d’aller manger dehors. Bobo s’enquit de chercher un lieu qui pouvait convenir et l’on se retrouva à monter trois étages d’un bar dancing peu fréquenté ce soir-là. La musique dont le son avait été porté au maximum empêchait la plupart des discussions. Aussi, après avoir attendu une bonne vingtaine de minutes, on descendit au rez-de-chaussée où l’on trouva un coin tranquille pour discuter. Il était question de la santé de Jane et de recourir à des soins traditionnels. On connaissait un guérisseur à Edéa qui pourrait soigner les mots dont souffraient Jane. Bien que sceptique, je ne pouvais qu’accepter cette décision, Jane étant la première à vouloir y recourir. Que pouvais-je faire d’autre ? Un poulet et une bière plus tard, on se sépara et on se donna rendez-vous le lendemain.

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